Cinéphile m'était conté ...

Fin 2006. Un vieil homme revient chez lui, en République d'Irlande. Il sait qu'il va mourir. Assassiné. C'est le lot des traîtres. Surtout d'un type comme lui, Tyrone Meehan, figure emblématique de l'IRA, qui a vécu avec le mensonge pendant plus de 20 ans. Et qui, maintenant, doit écrire. Non pour se justifier ou se confesser. Juste raconter, témoigner, alors que son nom est sali et que ses meurtriers l'attendent. Un testament. Le récit d'années de lutte en Irlande du Nord, celui d'une vie, de tourbe, de bières et de sang.
"Un salaud est peut-être un chic type qui a baissé les bras." Peut-être. Retour à Killybegs, le dernier roman de Sorj Chalandon, a l'amertume d'un fond de verre de Guinness. Guinness des remords et bien plus encore. Le genre de livre qui vous agrippe, vous enivre de sa souffrance et vous hante encore après l'avoir refermé. Comment Chalandon fait-il pour distiller une telle puissance avec un style aussi sobre, sec parfois, sans emphase, jamais ? Mystère de l'écriture au service d'une histoire forte et simple à la fois. D'une violence souterraine, un cri d'horreur qui reste intérieur, qui glace les sangs. Toute l'histoire de l'Ulster est contenu dans cette fiction biographique : Bobby Sands, dans l'ombre, se meurt ; aux attentats succèdent des moments de trêve ; dans les prisons, les détenus maculent leurs cellules d'excréments. Mais c'est avant tout le récit d'un homme, héros et salaud, nourri à la haine, blessé par les coups de son père, qu'il aime pourtant. Il a été longtemps si seul avec son infâme secret, qu'il n'a pu partager avec sa femme, encore moins avec son fils. Le tour de force de Sorj Chalandon est de nous laisser seul juge devant le parcours de cet homme en bout de course. A bout de forces.