Sorties 2024
Douceur et amertume de la famille (Nous, les Leroy)
Certains disent qu'ils l'ont vu voler (Par-delà les montagnes)
Pour son troisième long-métrage, le cinéaste tunisien Mohamed Ben Attia retrouve son acteur fétiche, Majd Mastoura, dans un récit qu'il est difficile de qualifier par un seul mot. Au réalisme social du début succède un thriller sous forme de Road Movie, sans oublier une touche de fantastique inattendue. Rafik, son héros, certains disent qu'ils l'ont vu voler, sans doute pour s'élever au-dessus des contingences terrestres et oublier la triste destinée humaine. Toujours est-il que Par-delà les montagnes est une œuvre imprévisible, où la notion de psychologie s'efface quant aux motivations des différents personnages. C'est le charme insidieux et sans doute aussi la limite de ce film qui maintient cependant l'intérêt constamment, à cause justement des situations étonnantes de son intrigue. Faut-il voir dans cette dérive à la logique peu évidente une sorte de transposition de l'état social de la Tunisie post-révolutionnaire ? L'exégèse est recevable mais il n'est pas nécessaire de s'y attacher pour prendre du plaisir mêlé d'inconfort à ce voyage singulier. La relation père/fils y est aussi traitée avec sensibilité même si le film ne cherche pas à tout prix l'émotion, lui préférant des ingrédients bien moins évidents.
Le réalisateur :
Mohamed Ben Attia est né le 5 juin 1976 à Tunis. Il a réalisé Hedi et Mon cher enfant.
Le temps de la haine et de la peur (Semaine sainte)
Austère, exigeant et dense, Semaine sainte, le troisième long-métrage d'Andrei Cohn, est une adaptation libre d'un court roman roumain. Son cadre est bucolique, l'époque indéterminée : au début du XXe siècle, semble t-il, avant les atrocités du nazisme et du bolchevisme, en tous cas. Le petit village a beau paraître tranquille, de grandes tensions y sont pourtant présentes et la présence d'un aubergiste de confession juive n'y est sans doute pas étrangère. Le film analyse les mécanismes de l'ostracisme et de la haine, au sein d'une sorte de huis-clos à ciel ouvert, où une simple étincelle serait susceptible d'allumer un incendie. Le film est surprenant, non seulement pour ses saisissantes scènes d'ouverture et de clôture, mais aussi pour son intrigue qui devient aussi folle que ses personnages, avec la peur, ou bien est-ce la paranoïa, pour moteur. Le cinéaste se défend d'avoir réalisé un film politique mais il en a pourtant toutes les caractéristiques, surtout à l'époque actuelle, marquée par l'intolérance et la véhémence. Semaine sainte prend son temps pour amener son récit vers son inéluctabilité. Mais les temps morts y sont rares, dans un paysage rural somptueux qui contraste d'autant plus avec les outrances et les aigreurs humaines.
Le réalisateur :
Andrei Cohn est né en 1972 en Roumanie. Il a réalisé 3 films.
Au quart de poil (Rosalie)
Au même titre que La Danseuse, son premier long-métrage, le nouveau film de Stéphanie Di Giusto, Rosalie, est un objet fort singulier. Atteinte d'hirsutisme, son héroïne tente de vivre une existence de femme épanouie dans un petit village breton, après la guerre de 1870. Lors de sa présentation à Cannes, le film a été taxé d'académisme, ce qui est contestable, et d'avoir tracé le portrait d'une femme un peu trop moderne pour son temps, ce qui n'est qu'en partie vrai et signifie que les critiques se sont focalisées principalement sur le fond, en négligeant la forme qui dès les premières scènes porte la marque d'une cinéaste très talentueuse. Cette femme à barbe, loin du célèbre film de Marco Ferreri, a aussi un mari, dont le regard évolutif sur la pilosité de son épouse alimente un récit symbolique de l'acceptation ou non de la différence, de même que de la question de la féminité. A chacun de se faire sa propre religion mais le film ne vise pas le réalisme à tout crin et prend même la forme de fable, pour peu qu'on s'intéresse à chacun de ses personnages , moyennant quoi le film fonctionnera au quart de poil et ne sera pas exempt d'émotion. Nadia Tereszkiewicz est toujours aussi fascinante et semble décidément capable d'assumer les rôles les plus difficiles, tandis que Benoît Magimel confirme qu'il est bien l'acteur français le plus "chaud" du moment.
La réalisatrice :
Stéphanie Di Giusto est née à Paris. Elle a réalisé La Danseuse.
Le temps des villes et le temps des champs (Le mal n'existe pas)
Dans Le mal n'existe pas, alors même qu'il ne s'agit sans doute pas de son long-métrage le plus excitant, Ryûsuke Hamaguchi parvient à une sorte de maîtrise comparable à celle de Zviaguintsev, Mungiu ou Ceylan, à leur zénith. Le cinéaste japonais nous impose la patience dans des premières scènes contemplatives qui prendront une autre dimension dans la dernière partie du film et nous apprend, d'une certaine manière, qu'avec des "si", on coupe du bois. Plus concrètement, Le mal n'existe pas confronte deux manières d'envisager le temps et, partant, deux philosophies de vie, d'une part agitée et pragmatique, en milieu urbain, d'autre part naturelle et sensée, à la campagne. Une version nouvelle du rat des villes et du,rat des champs, subtile, poétique, mystérieuse, voire même opaque dans le dénouement déconcertant du film. Aucune scène, aussi longue soit-elle, n'y est gratuite, et un humour léger accompagne ce voyage en des terres qui semblent bien incongrues aux habitants de la capitale japonaise, sidérés par la connexion des ruraux à un rythme d'existence qui dépasse leur entendement. Le mal n'existe pas a des allures de fable, parfois insaisissable et toujours inattendue, qui confirme l'importance de Hamaguchi dans une caste assez réduite de réalisateurs contemporains qui poursuivent leur route en toute indépendance, sans pour autant ignorer le monde tel qu'il évolue et sur lequel ils jettent un regard ironique et quelque peu malicieux.
Le réalisateur :
Ryûsuke Hamaguchi est né le 16 décembre 1978 à Kawasaki. Il a réalisé 10 films dont Senses, Asako I&II et Drive my Car.
En file indienne (Agra)
Outre le fait que Agra ne laissera personne indifférent, il est prévisible que les réactions à son encontre iront du "waouh" au WTF, les deux pouvant d'ailleurs cohabiter. Le film commence avec des visions grotesques et se poursuit dans le chaos indescriptible d'une maisonnée où cohabitent un père,sa femme, sa maîtresse et son fils. Mais c'est la frustration sexuelle XXL de son "héros" (le plus jeune) qui prédomine dans une première heure qui frôle l'hystérie, avec pour seule comparaison possible, mais lointaine, l'Affreux, sales et méchants de Scola. La deuxième heure, en comparaison, est heureusement bien plus calme, et pose avec une certaine acuité le problème du logement et du manque d'espace individuel dans les grandes villes indiennes. Le genre du sujet assez commun dans la littérature indienne mais qui, dans Agra, se retrouve au cœur d'un conflit où les différents protagonistes se disent leur quatre vérités dans un langage qui n'a rien de fleuri. Cela et d'autres scènes assez crues ont de quoi choquer mais le plus grave, en définitive, est l'impression que certaines scènes manquent, notamment dans sa dernière ligne droite, pour que le spectateur, pas nécessairement remis des premières minutes du film, comprenne tous les tenants et les aboutissants d'une histoire brutale et salée. En file indienne, il apparaît que le réalisateur, Kanu Behl, a voulu énumérer quelques uns des maux endémiques du sous-continent, avec le plus grand réalisme. D'une certaine manière, c'est réussi, au-delà de ses espérances.
Le réalisateur :
Kanu Behl est né le 13 juin 1980 à Kapurthala (Inde). Il a réalisé Titli.
Le pouls de New York (Black Flies)
Pas la peine de nous prévenir : Black Flies va représenter une épreuve pour notre petit cœur sensible, son sujet et le CV de son réalisateur en attestent indubitablement. Histoire de prendre le pouls de New York, la virée de l'ambulance de deux urgentistes de New York ressemble un peu trop à un catalogue de tout ce qu'il est possible de rencontrer au rayon tragique dans un environnement marqué par la plus crasse des misères sociales. Jean-Stéphane Sauvaire, ennemi de la demi-mesure, ne nous épargne rien et compense ses furieuses montées de tension en accordant un peu de répit d'ordre privé à ses deux "héros", quoique ce n'est pas rose non plus et de courte durée car les gyrophares ne s'arrêtent jamais. Le rythme du film est épuisant mais il y a quelque chose qui nous rive tout de même aux images dantesques, au sens premier du terme, l'envie de se faire mal, peut-être, et le style du cinéaste, aussi, malgré tout. Ceci posé, Black Flies lorgne trop sur le Scorsese d'A tombeau ouvert et pas du tout sur Ambulances tous risques mais rien d'étonnant à cela. Sean Penn n'a pas besoin d'en faire des tonnes, quoique cela soit un peu le cas, son visage raviné parle d'expérience. On tressera davantage de louanges à Tye Sheridan, le coéquipier néophyte qui apprend le métier dans la douleur et avec notre commisération.
Le réalisateur :
Jean-Stéphane Sauvaire est né le 31 décembre 1968 à Paris. Il a réalisé Johnny Mad Dog et Une prière avant l'aube.
Au pays des fantômes (Sidonie au Japon)
Le voyage au Japon, pour les âmes occidentales perturbées, est souvent source de dépaysement, d'étonnement et pourquoi pas de renouveau. De ce point de vue, le Japon possède un bel avantage sur la Chine, la Corée et surtout l'Inde, aux contrastes trop violents. Sidonie au Japon ne trompe pas sur la marchandise escomptée, tout y est luxe, calme et presque volupté. Et élégance, aussi, grâce à une mise en scène aérienne et les somptueux paysages du Kansai (les biches du parc de Nara sont fidèles au poste). Le Japon est le pays des fantômes mais celui qui intervient dans le film est heureusement bien moins vindicatif que les ectoplasmes que l'on aperçoit le plus souvent dans les longs-métrages nippons. Sidonie au Japon est relaxant comme un bon massage et ses pointes d'humour, dues au décalage des mœurs de là-bas par rapport à ici, ne sont pas négligeables. Reste que le film patine quelque peu dans sa dernière ligne droite, n'ayant plus alors à nous proposer qu'une conclusion romantique qui évite quand même de peu une certaine mièvrerie. Isabelle Huppert et Tsuyoshi Ihara s'imposent dans une économie d'expression qui sied bien au ton général du film, en tous cas dans ses meilleurs moments : gracieux et vaporeux.
La réalisatrice :
Elise Girard est née en 1976 à Thouars. Elle a réalisé Belleville-Tokyo et Drôles d'oiseaux.
Quels Kunas ? (Dieu est une femme)
Au vu de son synopsis, Dieu est une femme semblait receler plusieurs films en un, de façon très alléchante. Tout d'abord, il y a l'histoire de ce film tourné en 1975 par Pierre-Dominique Gaisseau, au sein du peuple Kuna, au Panama, documentaire apparemment perdu sans jamais avoir été montré. Ensuite, la vie de cette communauté matriarcale intrigue forcément et sa confrontation avec la modernité, d'autant plus. Enfin, il y a lieu aussi de s'interroger sur la valeur des films "ethnographiques" réalisés au siècle dernier, avec une approche que l'on peut tout aussi bien qualifier d'exotique pour susciter les frissons des occidentaux. Malheureusement, le film d'Andrés Peyot réussit à ne traiter aucun de ces sujets ou, disons-le autrement, il s'en sert pour une réflexion assez ennuyeuse et confuse qui se voudrait très certainement un hommage au mode de vie des Kunas mais qui reste noyé dans des images mélangées de 1975 et d'aujourd'hui, sans se donner la peine d'une narration cohérente. Malgré quelques passages émouvants, Dieu est une femme ressemble davantage à un brouillon qui pêche par une ambition malvenue, alors qu'il aurait été si simple de raconter cette histoire étonnante avec la plus grande clarté possible.
Le réalisateur :
Andrés Peyrot est né en Suisse. Il a réalisé 5 courts-métrages.
Le moment de l'engagement (Quelques jours pas plus)
On le voir venir de loin ce personnage de journaliste rock, désabusé et cynique, qui va progressivement s'ouvrir aux autres. Au commencement de Quelques jours pas plus se trouve un roman intitulé 'De l’influence du lancer de minibar sur l’engagement humanitaire" dont l'adaptation s'est fondée sur une grande fidélité mais aussi une accentuation du côté social, avec un travail quasi documentaire sur le quotidien stressant de membres d'associations dédiées à l'aide aux migrants. Un monde qui n'a évidemment rien à voir avec celui du journaliste égocentrique évoqué plus haut et dont le dessillement face à ce que représente l'engagement est un excellent vecteur de comédie et d'émotion, selon un dosage à bien peaufiner. Quelques jours pas plus est un film sincère et bienveillant qui ne nous prend jamais en otage mais dont la facture visuelle et même l'écriture semblent quelque peu manquer d'audace et d'inventivité, à l'aune, hélas, de beaucoup de films français lestés d'un grand poids social, Généreux mais sans éclat, le film pourtant dans sa manche un atout majeur, peut-être pas suffisamment exploité, à savoir l'alchimie naturelle qui se dégage entre Camille Cottin et Benjamin Biolay, ce dernier, très brillant, s'étant visiblement inspiré avec gourmandise de certains critiques rock bien réels.
La réalisatrice :
Julie Navarro est née le 7 juillet 1974. Elle a réalisé un court-métrage.