Ici, c'est Arras (6)
En attendant la compétition européenne, trois films français à se mettre sous la dent.
Saint Omer, Alice Diop, sortie le 23 novembre
Lion d'argent à Venise, en lice pour l'Oscar du meilleur film international, représentant de la France, en attendant peut-être un César du meilleur film, Saint Omer, le premier long-métrage de Alice Diop, impressionne par sa densité, son intensité et sa puissance. Inspiré par le procès d'une infanticide en 2013, le film impose son point de vue, sur la monstruosité qui est tapie en chacun de nous, et sur la maternité qui n'est pas nécessairement une période d'épanouissement et de plénitude pour les femmes. Saint Omer est un choc, un film de prétoire d'emblée resserré sur les débats mais qui acquiert une autre dimension avec le personnage de l'écrivaine, bouleversée par ce quelle entend. Expliquer l'inconcevable et l'horreur, comme l'assassinat d'un enfant par sa propre mère, ressemble à une mission impossible mais Alice Diop filme avec dignité sensibilité et humanité avec des choix forts de narration, surfant sur la crête entre raison et folie. La cinéaste maîtrise totalement son récit, nous forçant sans doute à adopter sa vision des choses, ce qui pourra offusquer certains, mais se révèle en définitive une qualité d'un film qui exècre la neutralité. Avec le plaidoyer final de l'avocate de l'accusée, le film libère un fleuve d'émotion, avec un force dévastatrice. Dans une telle démonstration, il fallait des interprètes d'exception : Guslagie Malanda, Kayije Kagame, Valérie Dréville et Aurélia Petit laissent sans voix, dans des performances hors normes.
C'est mon homme, Guillaume Bureau, sortie le 22 mars
C'est mon homme est l'histoire d'un retour, pas de la même façon que celui de Martin Guerre, puisqu'il n'y a pas d'imposture ici mais un cas d'amnésie, pour un combattant de la guerre 14/18, avec deux femmes qui prétendent qu'il s'agit de leur mari. Le film privilégie clairement l'une des deux possibles épouses, lui accordant davantage de temps au sein de la tentative de reconstruction de la mémoire défaillante du héros. La reconstitution de l'après-guerre, avec ses traumatismes et ses dégâts (les gueules cassées) constitue la partie la plus probante du premier long-métrage de Guillaume Bureau. Le scénario, lui, se fait volontiers paresseux, misant sur les sensations, les regards et les silences, sans que l'on puisse se déterminer sur la personnalité réelle de cet amnésique déboussolé, à la recherche d'une identité. Il est bon que le mystère, au centre de l'intrigue, reste entier mais C'est mon homme se complait le plus souvent dans un entre deux, sans que la mise en scène ne cherche à régénérer une histoire qui peine à véritablement avancer. Karim Leklou, dont la cote ne cesse de monter, joue avec la réserve idoine cet homme aux souvenirs perdus, accompagné par une Leïla Bekhti au jeu tout en nuances, bien que le caractère de son personnage colle plus à une femme de notre époque. La déception vient de Louise Bourgoin, non pour ses qualités de comédienne, bien réelles, mais pour le peu de profondeur de son rôle, dans cette œuvre (trop) classique et qui manque de piment. On est donc loin du Retour de Martin Guerre, en effet.
L'Astronaute, Nicolas Giraud, sortie le 15 février
Le premier défi de L'Astronaute est de nous faire croire au projet totalement dingue et a priori irréalisable d'un ingénieur aéronautique. Une obsession depuis l'enfance, arrimée à celle de son grand-père, une ambition à rêver debout, simplement pour pouvoir dire "bonjour là-haut." Et si on adhère à cette histoire, après une phase d'incrédulité, c'est qu'elle s'appuie sur un certain réalisme, sans pour autant abreuver d'explications et de termes abscons. Il est clair que le réalisateur, Nicolas Giraud, a délaissé le spectaculaire (quoique, parfois ...), non seulement pour des questions de budget, mais aussi par choix, convaincu que le meilleur effet spécial est bien l'humain. Les relations entre les différents personnages de L'Astronaute ont quelque chose de candide, mais il est aisé de l'accepter, à partir du moment où la notion d'équipe vient renforcer une entreprise personnelle, qui ne peut réussir que si elle s'inscrit dans un plan collectif. Bien dans l'esprit, aucun acteur ne semble tirer la couverture à lui, tous égaux de Mathieu Kassovitz à Hélène Vincent, dans les traces de Nicolas Giraud, d'une sobriété exemplaire. Le principal point faible du film est relatif : ses dialogues, assez ternes dans l'ensemble, sans doute par volonté de rester terre à terre, si l'on ose dire, et d'une certaine manière "déshéroïser" les artisans d'un rêve aussi dément. Que nous, spectateurs, partageons avec un enthousiasme d'enfant.
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