Cinéphile m'était conté ...

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Le beurre du malheur (Au revoir là haut)

En d'autres temps, Au revoir là haut aurait fait un feuilleton parfait dans les journaux, à l'instar des oeuvres de Zola ou de Dumas. Rebondissements en cascade, tableau implacable et cruel d'une époque cynique, ton furieusement narquois et densité d'une intrigue à plusieurs niveaux, personnages peints avec un art consommé du portrait. C'est à Balzac, notamment, que l'on pense pour cette vision très sombre de l'humanité, où après la Grande Guerre, les opportunistes ont pu faire leur beurre du malheur. Il n'y a pas de bons et de méchants chez Pierre Lemaitre. Seulement des escrocs et des crapules, les premiers avec des excuses (une gueule cassée et son camarade rescapé, pusillanime et touchant car terriblement pathétique), les seconds, salauds intégraux, n'étant que le symbole de profiteurs sans états d'âme, tels qu'il en existera toujours en ce bas monde. Auteur de romans policiers, Lemaitre sait qu'un bon début conditionne souvent l'intérêt du lecteur et, qu'une fois harponné, celui-ci le suivra jusqu'en enfer. Le démarrage d'Au revoir là-haut est époustouflant, 100 premières pages à perdre haleine, dans et au dehors des tranchées. La suite ne sera pas du même acabit, bien sûr, le rythme va retomber et l'auteur va tirer sur des ficelles plus classiques, mais comme c'est un tireur d'élite, il ne perdra jamais le fil, malgré quelques longueurs et redondances. Pas grave, puisque les pages tournent toutes seules et que le suspense va crescendo. Grâce à deux récits principaux parallèles, enrichis au fur et à mesure par l'irruption de nouveaux personnages, le romancier maintient l'intérêt et densifie son propos. Le tableau de l'après-guerre est terrifiant. Gloire aux morts et honte aux survivants de la boucherie de 14-18, plus suspects que les planqués, d'une certaine façon, et surtout fort embarrassants. Un héros doit être défunt, sinon il n'en a pas la stature. Quelle indécence quand même de ne pas avoir péri sur le front ! Le style de Lemaitre, acerbe et ironique, fait mouche. Il a parfois tendance à déraper dans l'humour noir, Audiard n'est pas si loin, mais ce n'est que vétille. Le Goncourt nouveau est extrêmement gouleyant, sa robe est rouge et ses idées noires, un vrai millésime qui s'avale goulument comme on étanche une grande soif. C'est qu'on en redemanderait, d'ailleurs !

 

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26/11/2013
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