Dans la brèche du temps (L'herbe des nuits)
Peuple modianesque, réjouis-toi ! Le dernier opus de ton maître est un nouveau bijou qui va t'enchanter. Une histoire imprécise comme toujours, une brèche dans le passé, l'expression revient à plusieurs reprises dans L'herbe des nuits, dans laquelle s'engouffrent des bribes d'une époque bien révolue. Quand Victor Hugo écrivait que "La mélancolie est le bonheur d'être triste", il ne pensait certes pas aux livres de Modiano, mais la phrase convient bien à l'auteur de La place de l'étoile, fidèle depuis ses débuts à un style et à des thèmes qui forment une grande oeuvre cohérente où une émotion discrète affleure au détour de chaque phrase. Dans L'herbe des nuits, on retrouve un climat cotonneux où les personnages flottent comme des fantômes. Les lieux, eux, sont précis, des hôtels, des cafés, des rues qui n'existent plus ou sont devenus tout autre chose. Tout l'art de l'écrivain est dans ce contraste entre flou et précision, dans une atmosphère ouatée et nostalgique. Que cherche le narrateur du livre ? Sa jeunesse lointaine ? L'insouciance perdue ? Un Paris disparu ? Il n'en sait rien et c'est le mystère de la mémoire qui fait resurgir des moments furtifs, dans la candeur de la fin de l'adolescence, dans la découverte du monde dangereux de la nuit et de sa faune interlope, dans une histoire d'amour qui ne dit pas son nom. Dans Les herbes de la nuit, on marche beaucoup, on parle autant et on vit dans l'instant sans savoir que se constitue la trame de souvenirs futurs. Bien plus tard, il suffira d'une brèche dans le passé pour (re)vivre ces moments diffus et les nuancer d'une teinte sépia. La dernière page du roman est déchirante et laisse hagard. La magie Modiano a encore frappé.
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