Comme un tesson de verre (Le navire obscur)
"Un tesson ne peut-être que le souvenir du verre dont il provient." Kerim, le "héros" de Sherko Fatah dans Le navire obscur, est un tesson de bouteille, brisé et coupant. Du Kurdistan irakien, où il connaît les horreurs de la guerre et l'embrigadement, jusqu'à Berlin, où il ne trouve pas la paix, avec, entre les deux, un voyage en clandestin, dans les entrailles puantes d'un vieux rafiot. La peur et l'incompréhension façonnent le destin de Kerim dans ce roman au style sec et puissant, d'un réalisme suffocant. Le livre est comme une tragédie implacable dont les épisodes s'enchaînent avec une logique imparable. Le passage de Kerim chez les "Combattants de Dieu", raconté en plusieurs flashbacks fulgurants, l'angoisse claustrophobe dans la cale du navire, le dénouement, enfin, d'une force inouïe, amplifiée par l'économie de moyens, délivrent des scènes terribles, presque insupportables, dans la violence, plus morale que physique, qu'elles suggèrent. Un livre qui, s'il n'est que fiction, va bien au-delà des documentaires traitant du terrorisme, des extrémismes quels qu'ils soient, et des chocs des mondes. Il n'y a pas plus dangereux qu'un tesson de bouteille.
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