Cinéphile m'était conté ...

Cinéphile m'était conté ...

Soumise à disposition (La vie selon Ann)

 

Joanna Arnow est sacrément culottée et largement à contre-courant de la morale, davantage encore à l'époque actuelle, pour étaler à l'écran ses désirs de soumise à disposition. Le récit de son film procède par une succession de vignettes : Ann au bureau, Ann en famille et surtout Ann face aux hommes. L'humour pince-sans-rire, avec quelques punchlines à la clé, fonctionne dans les scènes "normales" du quotidien mais s'efface devant la répétition des humiliations volontaires subies par la susdite dans sa vie intime. La vision des relations sexuelles de l'héroïne qui est donc celle de la réalisatrice qui joue son propre rôle ne peut que susciter un certain malaise, bien que rien ne soit montré de manière frontale mais suggéré de façon très explicite. Contradictions d'une femme qui au travail ne se laisse pas faire et semble même détenir un certain pouvoir. Impossible de ne pas se sentir comme un voyeur embarrassé devant l'exhibitionnisme et les pratiques d'un personnage qui n'est jamais rendue sympathique, par quel côté que ce soit. La radicalité de La vie selon Ann en fait un objet bizarre et peu séduisant, dont le caractère de sincérité parait cependant évident, sans recherche de provocation gratuite, mais cela ne rend pas notre regard confortable, bien au contraire.

 

 

La réalisatrice :

 

Joanna Arnow est née à New York. Elle a réalisé 2 courts et 1 moyen-métrage.

 

 


08/05/2024
0 Poster un commentaire

Des Amérindiens dans la vie (La fleur de Buriti)

 

Avec La fleur de Buriti, on ne peut qu'être touché par le message de dignité de la communauté krahô au Brésil, peuple indigène spolié et massacré de tous temps. Dans leur nouveau long-métrage, João Salaviza et Renée Nader Messora, les coréalisateurs qui forment un couple dans la vie, ont opté pour une forme hybride (très à la mode en ce moment), à savoir la fiction alimentée par la réalité, que l'on a le droit de trouver moins pertinente que le documentaire pur et dur, et d'une certaine façon presque gênant car s'appuyant sur une émotion quelque peu forcée. Néanmoins, La fleur de Buriti lorsqu'il se fait honnêtement ethnographique et moins revendicateur se révèle passionnant, eu égard à la philosophie de vie de ces autochtones, auxquels les notions de profit et d'exploitation des richesses de la nature sont totalement étrangères. L'aspect politique, en pleine période Bolsonaro, est bien évidemment abordé avec force mais ce n'est paradoxalement pas là que se situe le caractère le plus captivant du film. Depuis le tournage, Lula a été élu président et Sônia Guajajara, que l'on aperçoit en tant que militante dans La fleur de Buriti, est désormais à la tête du ministère des Peuples autochtones. Une grande avancée pour ces Amérindiens du Brésil maltraités et étouffés depuis trop longtemps.

 

 

Les réalisateurs :

 

João Salaviza est né le 19 février 1974 à Lisbonne et Renée Nader Messora en 1979 à Sao Paulo.

Ils ont coréalisé Le chant de la forêt.

 


07/05/2024
0 Poster un commentaire

Un coup fumant (Une affaire de principe)

 

Déjà, Une affaire de principe a pour qualité première de rendre presque limpide un dossier plutôt complexe, dans les couloirs du parlement européen, au fonctionnement souvent opaque pour la multitude ignorante, suivant l'antienne : ce qui se passe à Bruxelles reste à Bruxelles. Surtout quand la corruption des plus hauts dans la hiérarchie se complaît dans l'influence sonnante et trébuchante de certains lobbies, comme celui de l'industrie du tabac. L'investigation menée par José Bové et ses collaborateurs illustre à sa manière la lutte du pot de terre contre le pot de fer et, de ce point de vue, le film semble très sérieusement documenté. En contrepartie, le ton est au didactisme, privilégiant les mots à l'image, avec une mise en scène qui frise la platitude. On voit bien que pour agrémenter ce coup fumant, le réalisateur a tenté l'ironie et parfois le pas de côté mais ses personnages restent uniformes et sages, hormis ce bon vieux José, campé avec délectation par un Bouli Lanners à la moustache frémissante. Ses petits camarades, Thomas VDB et Céleste Brunnqueil, ne déméritent pas mais leurs rôles sont trop contraints et ne sortent que peu de leur rail d'enquêteurs acharnés. Le film manque d'éclat mais rend un peu de foi dans les institutions européennes, c'est déjà cela.

 

 

Le réalisateur :

 

Antoine Raimbault a réalisé Une intime conviction.

 


06/05/2024
0 Poster un commentaire

Un couple à l'ouest (Jusqu'au bout du monde)

 

Difficile de savoir ce qu'aurait donné Jusqu'au bout du monde dans une construction linéaire mais Viggo Mortensen a préféré structurer son film autrement, avec de nombreux allers et retours, vers plusieurs strates du passé. Le procédé convient peu au western a priori, moins qu'à un film noir, disons, mais le genre même se caractérise presque toujours par son intégration d'autres catégories : policier, comédie, tragédie. En l'occurrence, il s'agit d'un mélodrame à forte densité romantique, l'histoire d'un couple à l'ouest, dont le destin est malheureusement de n'avoir que peu de temps à passer ensemble. La forme est classique, dans la nature ou dans les lieux emblématiques du western : le saloon et la ferme isolée, mais Mortensen y introduit de l'originalité avec deux outsiders pour héros, des étrangers, confrontés à l'endémique violence américaine. Dans ce contexte, la touche "féministe" est appréciable et les méchants, dans l'affaire, sont particulièrement gratinés et réussis. Face à un Viggo Mortensen égal à lui-même, c'est à dire charismatique, Vicky Krieps prouve, s'il en était besoin, sa capacité à tout jouer, même s'il serait peut-être bon qu'elle ne meure pas systématiquement dans chacun de ses rôles. Toujours est-il que l'alchimie entre les deux acteurs est indéniable, dans un film auquel il manque juste un soupçon d'émotion pour marquer davantage.

 

 

Le réalisateur :

 

Viggo Mortensen est né le 20 octobre 1958 à New York. Il a réalisé Falling.

 


05/05/2024
0 Poster un commentaire

L'aéroport de l'angoisse (Border Line)

 

D'origine vénézuélienne mais installés depuis plusieurs années à Barcelone, les réalisateurs de Border Line ("traduction" française de Upon Entry), Alejandro Rojas et Juan Sebastián Vasquez, ont puisé dans leur propres expériences pour l'écriture de leur film, au plus près de situations vécues par bon nombre d'étrangers débarquant aux États-Unis. La tension et le suspense de Border Line vont croissant alors que la police américaine des frontières soumet un jeune couple à un interrogatoire de plus en plus intrusif, dans un huis-clos oppressant. Ce pourrait être une pièce de théâtre, puisqu'il s'agit d'un huis-clos et d'une action qui progresse exclusivement grâce à ses dialogues. Le film, à certains moments, n'est pas loin de la comédie noire, avec le côté absurde des questions posées mais il a aussi l'intelligence de nous faire nous interroger sur la sincérité des migrants en puissance. Mais Border Line questionne avant tout sur la liberté de chacun à se déplacer et à changer de vie, une possibilité qui sera vue différemment selon que vous soyez de telle ou telle nationalité (en l'occurrence, espagnole ou vénézuélienne). Et dans l'aéroport de l'angoisse, une ou deux personnes ont le pouvoir, arbitraire, de décider si oui ou non, vous allez en avoir l'autorisation.

 

 

Les réalisateurs :

 

Juan Sebastián Vásquez et Alejandro Rojas sont nés en 1981 et 1976 à Caracas. Ils ont réalisé 2 et 1 courts-métrages.

 

 

 

 

 


05/05/2024
0 Poster un commentaire

La semaine d'un cinéphile (364)

Lundi 29 avril 2024

 

En route pour une semaine que j'espère printanière. Elle commence avec un nouvel échantillon du cinéma japonais des années 60.

 

 

Mardi 30 avril

 

Une petite comédie d'horreur espagnole : cela devrait "égayer" ma journée, en attendant de plus substantielles nourritures cinématographiques.

 

 

Mercredi 1er mai

 

Premier mai, jour de sorties. Cela sonne un peu étrange. Il me manque encore deux films à voir mais pour l'heure la semaine n'est pas flamboyante.

 

 

Jeudi 2 mai

 

La disparition de Paul Auster m'attriste profondément. Je n'oublie pas ses films même si ce sont ses romans que je retiens avant tout.

 

 

Vendredi 3 mai

 

L'affiche du prochain Dupieux promet de beaux duels d'acteurs avec des dialogues surréalistes. Dans 11 jours à l'affiche.

 

 

Samedi 4 mai

 

Le film de Jia Zhangke, en compétition à Cannes, ne sortira pas avant plusieurs mois. J'espère bien le voir à La Rochelle.

 

 

Dimanche 5 mai

 

Un dimanche poitevin avec deux films à mon programme : Jusqu'au bout du monde et Une affaire de principe.

 

 


05/05/2024
0 Poster un commentaire

Désemparées, les moniales (L'île de la Française)

Après Le bâtard de Nazareth, Metin Arditi ne quitte pas Jésus-Christ, d'une autre manière, moins iconoclaste, dans L'île de la Française. Le roman comporte deux intrigues, très liées, l'une concernant la disparition mystérieuse de la fille d'une photographe française sur une petite île grecque, l'autre se déroulant dans un monastère de la même île, qui ne respire pas la joie de vivre. L'auteur, que ses lecteurs les plus fidèles suivent avec plaisir depuis le milieu des années 2000, possède un art de la narration qui perdure même s'il semble évident qu'il ne nous offrira plus un livre aussi brillant que Le Turquetto, par exemple. L'île de la Française se lit d'une traite, comme un thriller haletant, écrit dans un style dégraissé qui vise l'efficacité et y parvient sans effort apparent. Un certain nombre d'événements pourraient faire tiquer, cependant, à commencer par la manière dont les religieuses découvrent soudain que leur foi n'a pas besoin d'être aussi chevillée au corps (désemparées, les moniales), ceux qui ont lu le livre comprendront l'image. Arditi passe sous silence un certain nombre de détails qui rendent plusieurs situations incongrues, pour le moins, voire même impossibles à croire. On lui pardonne car il s'agit d'une fiction, avec ses raccourcis et ses facilités, et parce que les portraits de femmes sont très beaux. Sans compter l'émotion qui vient peu à peu prendre toute la place à la toute fin du livre, entre deuils et renaissances.

 

 

L'auteur :

 

Metin Arditi est né le 2 février 1945 à Ankara. Il a publié 18 romans dont La fille des Louganis, Le Turquetto et Rachel et les siens.

 


05/05/2024
0 Poster un commentaire

Fagot de vieux films (Mai/1)

Kyoto (Koto), Noboru Nakamura, 1963

Adapté du roman de Yasunari Kawabata, Kyoto, comme son titre l'indique, est un bel hommage à

l'ancienne capitale du Japon, à travers ses métiers, ses traditions et sa beauté calme, loin du tumulte de

Tokyo. L'intrigue du film est mince -deux sœurs jumelles, séparées à la naissance, se retrouvent par hasard

et, malgré leur attachement immédiat, constatent leur grande différence sociale- mais suffisante pour

développer une atmosphère douce et contemplative, à travers la mise en scène délicate de Noboru

Nakamura, qui n'a cependant pas le talent supérieur d'un Naruse ou d'un Ozu. La double interprétation de

la magnifique Shima Iwashita est troublante, surtout quand elle occupe tout l'écran avec ses deux

personnages, sans aucun artifice visible.

 

La carte brûlée (Moetsukita chizu), Hiroshi Teshigahara, 1968

Quatrième et dernière collaboration erntre Hiroshi Teshigahara, l'écrivain Kôbo Abe et le compositeur Toru

Takemitsu. Le film commence avec une intrigue policière mais dérive très vite sur la perte d'identité de son

personnage principal, un détective privé dont l'enquête sur une personne disparue ne va nulle part,

engloutie par la frénésie urbaine. Avec quelques effets psychédéliques, le film raconte le parcours erratique

d'un homme seul dont la santé mentale se détériore. Un objet étrange, bien dans le style de Teshigahara,

mais largement moins convaincant que ses films précédents.

 

Neige noire (Kuroi yuki), Tetsuji Takechi, 1965

Avec plusieurs scènes à l'érotisme trouble, Neige noire a valu à son réalisateur Tetsuji Takechi d'être poursuivi pour indécence. Baigné d'anti-américanisme, le film est marqué par le bruit quasi constant des avions en approche de la base aérienne qui se situe près de la maison close où se déroule la plus grande partie de l'action. Le personnage principal, le fils de la maquerelle, est un jeune homme fort perturbé, au comportement erratique, dont les perversions sexuelles et le goût du meurtre paraissent énigmatiques. Très stylisé et peu enclin à la psychologie, Neige noire dénonce l'économie parallèle qui s'enrichit encore en 1965 de la présence de troupes américaines au Japon mais c'est son côté pervers et dérangé qui prend le pas sur l'aspect politique et social.

 

 

 

 

 


04/05/2024
0 Poster un commentaire

Un Sisyphe à l'hôpital (Etat limite)

 

L'affiche d’État limite montre un homme en blouse blanche, au pas pressé, comme si une urgence l'imposait. Ce médecin, c'est Jamal Abdel-Kader, "psychiatre mobile" qui arpente les couloirs et les escaliers de l'hôpital public, à Clichy, œuvrant dans tous les services de l'établissement. De fait, le réalisateur du film, Nicolas Peduzzi, oppose le rythme effréné de l'hôpital, où la notion de rentabilité a pris le pouvoir, au temps que le praticien tient à aménager pour ses patients, en dépit du chaos ambiant. Le documentaire montre parfaitement que l'écoute et l'humanisme de Jamal ne sont plus en adéquation avec un système de soins qui part à vau l'eau et que son travail est celui d'un Sisyphe qui s'épuise à la tâche, comme lui rappelle un mal de dos de plus en plus présent. Nicolas Peduzzi fait exister la parole des patients, le traitement de la souffrance mentale (ne juge t-on pas une société à la façon dont elle traite ses "fous" ?), le mal-être du personnel soignant mais n'oublie jamais l'amour du métier d'un médecin qui résiste encore, pour combien de temps, à une lame de fond cynique, venue de plus haut, et qui n'a que faire des états d'âme d'un réparateur des âmes qui croit toujours, lui, aux vertus de la compréhension, de la parole et du réconfort.

 

 

Le réalisateur :

 

Nicolas Peduzzi est né le 28 novembre 1982 à Paris. Il a réalisé Southern Belle et Ghost Song.

 


04/05/2024
0 Poster un commentaire

Une espérance à reconstruire (Un monde à refaire)

Au printemps 1945, à Hyères, la majorité des habitants ne veut penser qu'aux lendemains et oublier les sales années de guerre, comme partout en France, alors que la seconde guerre mondiale touche à sa fin. Ce n'est pas le cas de tous, évidemment, et ce sont ces personnes-là qui occupent toute la place dans le premier roman de Claire Deya, Un monde à refaire. Ils ou elles ont combattu dans la résistance, reviennent des camps ou encore, dans le cas des Allemands, sont retenus prisonniers. La romancière s'intéresse au destin de ces hommes et de ces femmes qui ont une espérance à reconstruire mais elle dresse surtout, c'est la principale qualité du livre, un panorama à la fois très documenté, vivant et sensible de ce coin de France où a eu lieu un débarquement moins célèbre que celui de Normandie. Un monde à refaire a une vraie gueule d'atmosphère, entre les héros, les salauds qui se refont une virginité et le gros de la population qui ne s'est pas mal conduit mais qui n'a pas eu non plus de courage pour agir. Et puis il y a les démineurs qui risquent leur vie chaque jour pour "libérer" plages et champs. Ils sont le corps et l'âme du livre, eux dont le travail a rarement été évoqué pour raconter cette période. Moins convaincantes, sans doute, mais cela dépend des goûts de chaque lecteur, sont les intrigues sentimentales, torturées à l'excès, qui concernent les principaux personnages du roman. Avec Ariane, notamment, qui a disparu quand le récit débute et qui sert de fil (bien sûr) à l'histoire qui domine toutes les autres, avec sa dose de mystères qui ne s'éclairciront que dans le dénouement de Un monde à refaire. C'est du classique mais on peut estimer que l'autrice, sur cet aspect-là, aurait pu se montrer moins pesante dans son lacis de hasards, de coïncidences et de révélations. D'où un jugement un brin mitigé sur un roman qui, paradoxalement, s'avère moins éloquent dans sa partie la plus ... romanesque.

 

 

L'auteure :

 

 


03/05/2024
0 Poster un commentaire